Dans François Ruffin, l’ascension d’un opportuniste, la journaliste Mérième Alaoui enquête sur « la face cachée» du député insoumis.
Le député de la Somme mène un combat incessant et passionné contre toutes les injustices, cela est bien connu. Mais, comme le héros de Cervantès, ce Don Quichotte moderne possède un côté sombre qu’il semble avoir du mal à accepter.
C’est en discutant avec des militants « insoumis » et des « fakiriens » que Mérième Alaoui, journaliste amiénoise passée par RTL, Le Point et Al Jazeera Documentary, s’est « rendu compte qu’il y avait une face cachée, une sorte de décalage entre ce que François Ruffin montre devant les caméras et une certaine réalité ».
Fakir est le « journal indépendant et alternatif engagé de gauche » que le député de la France insoumise a fondé en 1999 à Amiens. Son objectif : « montrer ce qui n’est pas montré, le mensonge le plus classique étant le mensonge par omission ».
Mais voilà que le redresseur de torts né à Calais a lui aussi oublié de préciser certains détails, justement ceux que Mérième Alaoui a découverts en échangeant avec ses collaborateurs. Ceux-ci le décrivent comme un « patron dur à vivre », une sorte d’« essoreuse » au « management autoritaire » qui « paie mal ses salariés, dans son journal Fakir, comme à l’Assemblée nationale ».
Pour la journaliste amiénoise, ce sera le début d’une longue enquête dont les résultats, déconcertants, sont publiés dans François Ruffin, l’ascension d’un opportuniste, biographie non autorisée publiée aux éditions Robert Laffont.
Autoritaire, pingre, incapable de déléguer
« Avec parfois des semaines complètes de présence entre travail et militantisme ils [les collaborateurs de Fakir] gagnent en moyenne de 230 à 400 euros, voire 800 euros les contrats subventionnés par l’Etat », révèle la journaliste qui le présente comme un chef autoritaire, pingre, incapable de déléguer, sûr de son talent et de son talent seulement ».
Il s’agit du même François Ruffin qui ne cesse de dénoncer les méthodes, les profits et les abus des « grands patrons », sans oublier les « affres du capitalisme », les « injustices de l’oligarchie » et les « trahisons de la gauche ».
Certes, il se contente parfois de quelques invectives faciles, comme lorsqu’il qualifie Emmanuel Macron de « banquier », ce qui est – faut-il le rappeler – un métier.
« En politique, on ne renvoie jamais à ce que vous êtes mais à ce que vous dites, à vos idées. Sauf Ruffin, qui est rentré à plein là-dedans. Cela montre quelque chose de sa part, qui n’est pas très sain. […] Pour lui, il y a les bons qui ont choisi un métier louable et les mauvais qui de toute façon sont perdus à la cause », estime Stéphane Séjourné, ancien conseiller du chef de l’Etat. Et d’ajouter : « Il instille une forme de débat politique basé sur les personnes, ce qui est dangereux dans l’histoire politique de la France ».
Coup de com’ présidentiel
Et pourtant… Un peu de complicité avec ce discrédité « banquier » n’est pas entièrement exclu pour François Ruffin. En septembre 2016, à l’issue d’une rencontre entre l’ancien ministre de l’Economie et des salariés d’Ecopla, société iséroise déclarée en liquidation judiciaire, François Ruffin se permet de proposer une stratégie de communication au futur président : « Il faut que vous soyez vivement interpellé et publiquement par les salariés d’Ecopla, ça fera un épisode, et ensuite que vous y répondiez en disant : « Moi, je suis prêt à aller me déplacer sur place », ça fait un deuxième épisode.
Si la stratégie avait été élaborée en commun avec les syndicalistes (et non à leur insu), pour Mérième Alaoui cet épisode prouve que « Ruffin, qui prétend haut et fort ne pas être un professionnel de la politique, montre tout de même une parfaite maîtrise des vieilles ficelles politico-syndicales qu’il a tant décriées ».
Il montre également, si besoin était, que notre Quichotte moderne nourrit des ambitions autrement plus élevées. Un de ses anciens attachés parlementaires a confié à Mérième Alaoui qu’ils avaient « sérieusement imaginé » une candidature présidentielle. « Nous avions même fait le tour de nos forces en région, avant de reconnaître que nous n’étions pas assez nombreux pour l’instant ».
Le seront-ils en 2022 ?
Julien Tissot