Réalisateur : Wally Pfister
Acteurs : Johnny Depp, Rebecca Hall, Paul Bettany, Cillian Murphy, Kate Mara, Morgan Freeman…
Genre : Nolan pour les nuls
Date de sortie française : 25 juin 2014
Nationalité : USA, GB
Durée : 1h53
Classification : tout public
L’ancien chef op’ de Christopher Nolan se lance dans la réalisation… pour faire du sous-Nolan.
Transcendance a tout du mec qui arrive en retard à une soirée. Il est capable de prendre en cours de route les discussions des autres invités déjà bien éméchés, sans jamais vraiment en comprendre les tenants et les aboutissants. Il est vrai que le thème (on ne peut plus actuel) de l’intelligence artificielle n’en finit plus de passionner, notamment à travers des œuvres de fiction qui peuvent développer des fantasmes, tout comme des inquiétudes. En cela, Transcendance avait deux éléments qui semblaient lui permettre de se distinguer. Tout d’abord, son concept initial, reposant sur les dangers et les interrogations éthiques de la numérisation d’une conscience humaine (celle de Johnny Depp, tant qu’à faire). Ensuite, son réalisateur, Wally Pfister, ancien chef opérateur de Christopher Nolan, dont on espérait qu’il ait retenu les leçons de son modèle en ce qui concerne l’intellectualisation d’un blockbuster, et tout particulièrement quand il est question des capacités du cerveau humain, sujet que ce cher Nono a développé tout au long de sa carrière avec des chefs-d’œuvre comme Memento ou Inception.
Un propos artificiel.
Le problème, c’est que le cinéaste débutant et son scénariste Jack Paglen se sont ramenés clairement à la bourre à la soirée sur l’anticipation et les I.A. On sent que le film tente de se donner un propos, sans jamais vraiment y parvenir, la faute à une production trop envahissante, ayant sans nul doute imposé des coupures au montage, qui ne font que créer des ellipses là où le récit aurait demandé plus de temps pour s’enrichir. Cela n’empêche pas néanmoins le long-métrage d’avoir un rythme inégal, entre une première partie un peu trop rapide, qui ne pose pas assez ses enjeux (bien que globalement passionnante), et une seconde, interminable. Les thématiques ont alors du mal à se développer, créant paradoxalement un manichéisme que Pfister semblait vouloir éviter. De ce fait, les terroristes technophobes sont violents et donc méchants, tandis que les gentils scientifiques sont juste aveuglés par leur amour et leur volonté d’améliorer le monde. On finit presque par s’exaspérer de voir la narration rester à la surface de son sujet, repiquant par-ci par-là la paranoïa engendrée par HAL 9000 dans 2001, ou encore la question de la limite entre l’homme et la machine posée par des films comme A.I. ou Her. Il est vrai que l’ensemble reste prenant, mais un peu d’originalité n’aurait pas fait de mal.
Jack Sparrow est mort !
Cependant, Transcendance n’est pas totalement dénué d’intérêt. La déception est même d’autant plus grande quand on perçoit, au milieu de cet ensemble qui manque de finitions, des fulgurances, aussi bien visuelles que scénaristiques. Pour un ancien chef opérateur, on ne s’étonnera pas que la lumière soit de qualité, mais c’est surtout avec la recherche de ressenti de certaines textures, comme le verre, que le réalisateur épate. En étant derrière un écran, nous nous trouvons au même rang que Will Caster/Depp, incapables d’entrer en contact physiquement avec le monde qui nous entoure, tout en étant omniscients. Celui-ci voit d’ailleurs par le prisme de caméras, comme si la mise en abyme du cinéma permettait une meilleure immersion du public au sein de cet univers d’anticipation au message alarmiste. Certains reprocheront au film sa froideur, notamment par le jeu volontairement effacé de son acteur principal, mais Pfister s’amuse dès lors à contraster les couleurs, à l’image du labo blanc et métallisé du couple se trouvant juste en dessous d’une plaine chaude et désertique, mais aussi l’humain face à l’ordinateur pour renforcer l’ambiguïté trop peu présente de son propos. Il est étonnant d’assister à cette tentative de captation d’émotions à partir un écran, comme lorsque la conscience de Caster écrit pour la première fois. Le choix de Johnny Depp se justifie ainsi complètement. Lui qui adore se déguiser, changer d’apparence, bref, changer de corps, le voilà privé de cet élément, ce qui le déshumanise. La relation étrange qui se dessine alors entre l’homme défunt et sa femme parvient à offrir quelques moments réussis, notamment grâce à l’émouvante Rebecca Hall.
Le Prestige… ou pas.
Le casting est, par ailleurs, l’une des plus grandes réussites de Transcendance, tout en annonçant son plus gros défaut. Chacun fait son boulot correctement, mais au fil des apparitions de Morgan Freeman (qui incarne un chercheur, pour changer) et de Cillian Murphy, on ne peut que repenser à la filmographie de Christopher Nolan, dont Wally Pfister a visiblement piqué les habitués (jusque dans les petits rôles). C’est durant ce sentiment de déjà-vu procuré par les acteurs, que l’on se rend compte à quel point le film est malhonnête. Il surfe clairement sur la vague des blockbusters graves et intelligents qu’a imposé l’auteur de la trilogie Dark Knight, sans jamais en atteindre le génie. En plus de caricaturer l’écriture d’un des cinéastes hollywoodiens les plus influents de ce début de siècle, Transcendance devient assez vite un divertissement en pilotage automatique, qui aurait largement pu devenir une grande œuvre de cinéma en allant chercher plus loin dans sa réflexion. Sans être le navet annoncé par les critiques américaines, ce coup d’essai ne parvient pas à nous chambouler malgré son thème réflexif. En réalité, on ne se pose qu’une question en sortant de la salle : Quel film aurions-nous eu si les frères Nolan s’étaient attelés au scénario ?
Transcendance est d’autant plus décevant qu’il contient de bonnes pistes de réflexion qui ne mènent, malheureusement, à pas grand-chose. On sent la bonne volonté de Wally Pfister et de son casting qui ne peuvent pas tant sauver les meubles devant un scénario inabouti. Dommage.
Bande-annonce : Transcendance
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