Réalisateur : Kenneth Branagh
Acteurs : Chris Pine, Kevin Costner, Keira Knightley, Kenneth Branagh…
Genre : Crise d’identité de l’espion
Date de sortie française : 29 janvier 2014
Nationalité : USA
Durée : 1h46
Classification : tout public
L’espion créé par Tom Clancy a enfin droit a un reboot, assez décevant malgré ses bonnes initiatives.
11 Septembre 2001. Tout un campus londonien s’agglutine devant des écrans de télévision. Parmi eux, Jack Ryan regarde épouvanté les images des tours jumelles s’écroulant. On y revient toujours, mais le terrorisme international est un sujet clé du cinéma hollywoodien depuis cette date tristement célèbre. Le problème, c’est qu’avec un genre aussi balisé que celui du film d’espionnage, on ne pouvait guère espérer de réelle originalité de la part de Kenneth Branagh. Pourtant, le réalisateur de Beaucoup de bruit pour rien et de Thor surprend quand il ne filme pas directement la télévision, mais qu’il la fait refléter dans une vitre teintée. Une face inversée, presque cachée des évènements semble se dessiner. Un plan intelligent qui annonce le gimmick plutôt réjouissant de Branagh : traiter visuellement du jeu des masques.
Miroir, mon beau miroir…
Adapté des personnages de Tom Clancy, The Ryan Initiative est un reboot du (pas si) célèbre espion. La genèse bien narrée du personnage accentue la modernité du récit. Ancien marine blessé en mission, Jack Ryan devient ensuite analyste financier pour la CIA, ce qui lui permet de découvrir les fraudes d’une possible organisation terroriste. Si le film n’atteint pas la franchise surréaliste du Loup de Wall Street, le célèbre quartier financier devient une sorte d’endroit trop décontracté et trop lisse, où l’on préfère draguer plutôt que de se mêler des affaires illégales d’une grande entreprise russe. Le rappel de la crise des subprimes émane de ce lieu où la vérité disparaît derrière de multiples lignes de chiffres. Jack Ryan doit ouvrir l’œil (la caméra elle, modifie sa focale) et ce grâce à des effets de miroirs. La mise en scène de Branagh s’inspire alors de la froideur et de la transparence des derniers James Bond. C’est en regardant le reflet de la vitre de sa chambre d’hôtel qu’il aperçoit son homme à tout faire le viser avec son pistolet. Ce regard minutieux lui sauve la vie et modifie ainsi le regard de Chris Pine, belle gueule au sourire enthousiaste, qui depuis Star Trek prouve qu’il sait jouer la transition d’un personnage innocent vers un plus sombre pragmatisme.
The Casting Initiative.
Si cette étoile montante porte à elle seule le long-métrage sur ses épaules en ressuscitant le personnage, l’acteur est tout même accompagné par deux autres têtes d’affiche. Kevin Costner s’éclate dans son rôle de mentor désabusé et professionnel. Quant à Keira Knightley, si on pouvait craindre que son personnage de femme méfiante découvrant le métier de son compagnon ne soit qu’un boulet pour l’intrigue, il sert en réalité à un glamour non négligeable. C’est d’ailleurs cette dernière qui est la plus représentative du postulat de Kenneth Branagh. Dans une scène de dîner stressante, la belle se laisse séduire par Viktor Cherevin (interprété par le cinéaste lui-même) afin de détourner son attention pendant que Jack pirate ses données informatiques. Le métier d’espion est égal à celui de l’acteur. Branagh repose certes trop sur son casting mais le justifie par les différents rôles que ses stars tentent de jouer tout en restant crédible aux yeux de l’ennemi. Là encore, le cinéaste s’amuse de cette mise en abyme par des reflets. Le plus pertinent est certainement celui où pour la première fois, Jack Ryan pénètre dans les locaux de Cheverin, passant à côté de miroirs déformants. Ce symbole de ses diverses personnalités souligne d’autant plus l’aspect humain du film de Branagh, contrasté par les écrans aseptisés derrière lesquels se cachent le méchant et son dangereux complot.
La plagiat dans la peau.
Cependant, en dépit de toutes ses bonnes idées, pourquoi The Ryan Initiative ne convainc-t-il pas totalement ? En homme de théâtre fan de Shakespeare (image qu’il revendique totalement d’ailleurs), on pouvait attendre de Branagh un long-métrage à la dramaturgie sombre quasi-opératique. En réalité, pour lui, le seul intérêt du film réside dans le travail d’adaptation, et non pas l’adaptation des bouquins de Clancy, mais celle du cinéma d’espionnage. The Ryan Initiative devient dès lors un sous-Jason Bourne assumé. On appréciera la réalisation étonnamment lisible durant les scènes d’action — malgré une caméra à l’épaule inspirée de Paul Greengrass — mais question originalité, on repassera. Telle une énième mise en scène de Roméo et Juliette ou de Richard III, Branagh livre un travail expérimental sur les codes d’un genre. Le problème, c’est quand dans un blockbuster de ce type, cela sent surtout la méchante entourloupe envers un grand public qui serait censé apprécier qu’on lui vende toujours le même produit. Pire, le cinéaste hétérogénéise son récit moderne en y distillant des clichés des années 80. Certes, le méchant russe taré, patriote et accro à la vodka a de quoi amuser (bien que Branagh le filme avec un premier degré affligeant), mais on ne peut pas s’empêcher de tiquer sur un spectre de la guerre Froide omniprésent et franchement arriéré. Ce contraste étonnant, en plus de sortir par moments le spectateur du film, souligne les traits de caractère parfois grossiers des personnages et plus encore des vides dans le scénario qui empestent le montage contrôlé par la production. Tant de défauts qui font de The Ryan Initiative un divertissement trop calibré qui ne parvient jamais à transcender les éléments qui faisaient son originalité. A l’inverse de Jason Bourne, Jack Ryan perd de son identité au fil de ses aventures au point de se standardiser. Kenneth Branagh n’a finalement pas tout compris au cinéma d’espionnage.
Les nouvelles aventures de Jason Bourne (oh ! Pardon… Jack Ryan) déçoivent au final par leur manque de prises de risque dans un projet qui s’y prêtait pourtant très bien. Reste des idées intéressantes de mise en scène et surtout un casting impeccable qui s’amuse. Ne serait-ce que pour eux, on est prêts à entrer dans ce divertissement qui remplit (trop ?) son cahier des charges.
Bande-annonce de The Ryan Initiative
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