Réalisateur : Gore Verbinski
Acteurs : Johnny Depp, Armie Hammer, Tom Wilkinson, William Fichtner, Ruth Wilson, Helena Bonham Carter…
Genre : Western plus sérieux qu’il n’en a l’air !
Date de sortie française : 7 août 2013
Durée : 2h29
Classification : tout public
Gore Verbinski va plus loin que le simple portage de Pirates des Caraïbes au Far West, et arrive même à nous surprendre.
Lone Ranger, naissance d’un héros fait certainement déjà partie de ces films devenus célèbres par leur échec commercial. Comme une Porte du Paradis ou encore un Speed Racer (pourrait-on aller jusqu’à citer Citizen Kane ?), on peut espérer le voir ressurgir des vidéothèques d’ici quelques années comme une grande œuvre, qui plus est représentative du blockbuster tel que nous le connaissons aujourd’hui (alors que des cinéastes comme Steven Spielberg ou George Lucas ont annoncé sa fin suite à des plantages comme celui-ci). Pourtant, rien ne préconisait ce bide au box-office US : Gore Verbinski à la réalisation, Jerry Bruckheimer à la production, Johnny Depp en tête d’affiche et la majorité des composantes du succès de Pirates des Caraïbes semblait réunie. Serait-ce de la part des spectateurs un signe de ras-le-bol de la redite d’une recette gagnante, d’autant plus que les quatrièmes aventures de Jack Sparrow se sont révélées décevantes ? Probablement pas, puisqu’un cinquième long-métrage est en préparation et appartient d’ors et déjà aux projets très attendus de 2015. En réalité, il est intéressant pour cette sortie française de Lone Ranger de chercher à comprendre à travers les éléments du film l’échec inattendu du nouveau Gore Verbinski, qui n’est pas forcément gage de mauvaise qualité…
Gore Verbinski, hors-la-loi
Adapté d’une série télé peu populaire, Lone Ranger raconte comment John Reid (Armie Hammer, sympathique en héros utopiste), après l’assassinat de son frère, va devenir un justicier, accompagné de l’indien Tonto (Johnny Depp, maquillé et coiffé d’un corbeau mort qu’il nourrit !), faisant face à un complot incluant le chemin de fer en construction… Après la surprise Rango (et quelques scènes de Pirates des Caraïbes), on avait compris que Gore Verbinski adulait le western. Grâce à son budget gigantesque (250 millions de dollars), le cinéaste s’est donné une mission : rendre hommage au genre. De John Wayne à Sergio Leone, le film regorge de plans référencés (et on comptera aussi la géniale BO de Hans Zimmer qui s’inspire d’Ennio Morricone et reprend du… Rossini !) qui transpirent de l’amour du réalisateur. Néanmoins, en voulant réunir tous les éléments inhérents du western, le film devient dense, très dense (2h30 tout de même), et tend vers certaines facilités scénaristiques qui pourront perdre le spectateur. Mais cette volonté quasi-excessive de tenter de redémocratiser le western (genre tombé en désuétude auprès du grand public, premier argument de l’échec) confère au fond à un jeu cinéphilique plaisant et surtout à la technique irréprochable de Verbinski.
En effet, cherchant à s’éloigner du canon des blockbusters modernes, Lone Ranger préfère majoritairement les vrais espaces aux fonds verts. Choix tout à l’honneur de son cinéaste, qui filme le grand Ouest avec des plans majestueux. Il joue également avec les échelles de cadre comme dans tout bon western. Au milieu de cet immense terre, mobile de nombreux vices, les plans d’ensemble accentuent le dépassement des deux personnages principaux. Verbinski alterne alors avec des cadres plus rapprochés pour sublimer les corps dansants des protagonistes (et les mimiques de Johnny Depp !). Si le film dans sa longue durée comporte quelques moments de contemplation (mal vus pour un blockbuster estival peut-être), il n’en oublie jamais l’action. Toujours en recherche de chorégraphies stylisées et invraisemblables, Gore Verbinski nous livre certainement le final le plus fun de cet été 2013 (avec Pacific Rim tout de même) grâce à deux trains lancés à pleine vitesse. Ou comment reprendre au sens littéral l’expression « montagne russe » que l’on peut imposer à un blockbuster moderne. Les décors sont toujours là mais passent de plus en plus vite. La raison de cette conquête de l’Ouest devient absurde et stérile. Mais les corps n’en sont que plus déchaînés.
L’homme qui tua Stars and Stripes
Et c’est justement l’être humain perçu comme une simple chair habitée d’une âme qui fait le centre de ce Lone Ranger. Alors que l’on peut s’étonner pour une production estampillée Disney que le réalisateur s’attarde sur de nombreux cadavres, même les vivants sont mutilés, privés de quelque chose. Red Harrington (Helena Bonham Carter) a une jambe en ivoire, Butch Cavendish (William Fichtner, génial en bad guy) a le visage défiguré, John Reid doit protéger le sien par un masque et Tonto…. se retient de se prendre pour Jack Sparrow ! En effet, si cette naissance d’un héros reprend quelque peu l’aspect parodique d’un Pirates des Caraïbes, Johnny Depp a su diminuer ses gestes foufous (ce qui ne l’empêche pas pour autant de bien nous faire rire par moments). Car contrairement à la série télé, le long-métrage ne fait pas passer l’indien pour le faire-valoir, et constitue à l’inverse son intrigue dessus. Certes, Gore Verbinski a parfois du mal à équilibrer l’humour et la dramaturgie (un massacre horrible d’Indiens mis en parallèle par Johnny faisant son show), mais pose un message étonnamment très anti-étasunien. A grands renforts de symboles explicites (une estrade s’effondre alors que l’orchestre interprète l’hymne américain, un train représentant l’avenir avance sur ses rails jusqu’à sa perte, etc.), Gore Verbinski insiste pour mettre en scène un complot dévoilant comme l’envers du décor de la majorité des westerns. Les massacres de milliers d’Indiens sont injustifiés, tout comme l’utilisation esclavagiste des immigrés chinois, ne servant qu’un capitalisme privilégiant l’individu à la communauté.
Et le meilleur dans tout ça, c’est que le réalisateur raconte son histoire par le biais d’un flash-back, alors qu’en 1933, Tonto n’est plus qu’un des derniers Indiens passant sa journée dans une vitrine de musée. Nous raconte-t-il vraiment toute la vérité ou ne fait-il qu’extrapoler ? Peu importe car, comme le petit garçon à qui il dépeint son histoire, nous savons au moins que les États-Unis n’ont pas un système aussi parfait qu’ils veulent bien le prétendre. Au travers de ce Lone Ranger, c’est comme si les cadavres de milliers d’Indiens se levaient pour s’exclamer face à leur extinction injuste et presque oubliée. Les fabuleux décors de Verbinski reprennent à ce moment le dessus sur les corps. Pendant le générique, notre cher Johnny Depp avance dans le désert, devenant de plus en plus lointain à la caméra. Même cet immense acteur sait que son nom finira par disparaitre, contrairement à la nature l’entourant. Étonnamment sombre, Lone Ranger, naissance d’un héros fait partie de ces blockbusters intelligents et matures que l’on n’attendait plus. En pleine période de doute politique mais aussi cinématographique pour les États-Unis, on ne peut donc pas s’étonner de l’échec d’un film dévoilant une réalité que les Américains ne semblent pas encore prêts à entendre. Au final, cet échec prouve peut-être les qualités de Lone Ranger.
Techniquement sublime, Lone Ranger est heureusement plus qu’un simple hommage au western. Accompagné de son habituel second degré et de son casting qui s’éclate, Gore Verbinski étonne pourtant par un profond sérieux dans son sous-texte contre les Etats-Unis. Connaissant le talent du bonhomme, on se dit qu’un numéro 2 aurait pu être aussi bon. Mais après le bide au box-office de ce coup d’essai, on risque de ne pas en voir la couleur…
Bande-annonce de Lone Ranger, naissance d’un héros
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