Réalisateur : François Ozon
Acteurs : Marine Vatch, Géraldine Pailhas, Frédéric Pierrot, Fantin Ravat…
Genre : adolescence compliquée, mais étoile révélée !
Date de sortie française : 21 août 2013
Durée : 1h34
Classification : interdit aux moins de 12 ans
Une jeune femme apparemment heureuse décide de se prostituer… et François Ozon de réaliser l’un de ses films les plus aboutis.
Entre deux mastodontes américains, il est souvent plaisant pour un cinéphile (et d’autant plus en période estivale) de pouvoir se plonger dans un film d’auteur moins assommant et, on l’espère, demandant plus de réflexion. Car en comparaison aux blockbusters made in USA, la France offre peu de productions suscitant l’attente du public ou ne reposant que sur un nom. Néanmoins, les films de François Ozon appartiennent à ce petit cercle. Avec une filmographie désormais bien remplie et variée (Sous le sable, 8 femmes, Potiche…), le cinéaste joue désormais à la poule aux œufs d’or à la manière d’un métronome (tous les ans). Toujours passionné et passionnant quant à la psychologie féminine, Ozon dépeint cette fois-ci une année de la vie de la jeune Isabelle, qui vient tout juste d’avoir dix-sept ans, et qui décide, subitement, de se prostituer.
Fenêtre sur chambre
Le cinéma de François Ozon est d’autant plus réjouissant que l’on ressent son amusement quand il est derrière la caméra. Malgré son expérience qui lui permet aujourd’hui d’atteindre la quintessence de son art, il ne cesse de voir la réalisation comme un jeu. Un jeu dont il est conscient de la perversité, puisqu’il s’immisce dans la vie privée de personnages qui certes n’existent pas, mais qui sont basés sur la réalité. Sujet central de son dernier long-métrage Dans la maison, le voyeurisme (et plus précisément le voyeurisme à travers l’art) est tout aussi présent dans Jeune et Jolie. Isabelle, alors qu’elle bronze sur la plage, est espionnée par une paire de jumelles… qui appartient à son frère. Cette première scène annonce le jeu des regards que va imposer le cinéaste face à ce sujet pour le moins épineux. Isabelle est une adolescente, et elle se cherche. Durant son dépucelage, pendant ses vacances, un double d’elle-même la regarde d’un air innocent, semblant critiquer son acte. On peut alors voir sa décision de se prostituer comme une sorte de quête initiatique, traversant les couloirs labyrinthiques des hôtels pour atteindre un seul but : la chambre. Ces dernières et les salles de bain seront alors majoritairement couvertes de miroirs dans lesquels elle se reflètera.
Mais quel est finalement le point de vue du réalisateur lui-même ? Et bien, François Ozon adopte le parti pris couillu (excusez l’expression) d’être le plus objectif possible. Il ne juge pas son personnage (ce qui a amené certaines polémiques autour du film), utilisant une mise en scène froide qui ne fait qu’accentuer les sons produits par Marine Vacth, dont le réalisateur parvient à capter la beauté. Grâce à cette actrice incroyable qui parvient à allier la complexité de son rôle à sa sensualité, le film laisse le spectateur se faire sa propre opinion sur le pourquoi du comment de ses actes. Elle n’a pas besoin d’argent, elle est aimée de sa famille, et surtout, elle ne semble éprouver aucun plaisir dans le sexe. On soulignera le courage de cette jeune femme tout droit sortie de la mode et qui convainc dans des scènes d’un érotisme parfois déroutant. Car c’est dans ces passages qui semblent se dérouler dans la chambre 237 du désir que Jeune et Jolie inscrit son récit et son héroïne dans une certaine intemporalité. En cherchant à traiter de l’adolescence en général par le prisme de son histoire peu commune, Ozon parvient à poser son long-métrage dans une réalité universelle par la justesse de son écriture. Néanmoins, il utilise également et habilement le monde numérique sans entrer dans la caricature. Face à cet afflux d’informations, il devient plus facile de se documenter, de gagner en maturité et de grandir avant l’heure.
Untrue Romance
Tout comme Claude dans Dans la maison, Isabelle s’emmerde au lycée. Alors que la majorité des élèves de sa classe tentent de décrypter le poème de Rimbaud On n’est pas sérieux quand on a 17 ans, elle en a déjà vécu les émotions. Elle est en décalage avec le monde extérieur, qu’il s’agisse de son amie, de son petit copain avec lequel elle essaiera d’avoir une relation normale ou encore de sa famille, gentille mais maladroite (excellents Frédéric Pierrot et Géraldine Pailhas). François Ozon, qui a toujours aimé les précoces, retranscrit ce décalage dans sa mise en scène, entre les pauses magnifiques du film et l’avancement de la narration ponctuée par les saisons et les chansons de Françoise Hardy. Assez ironiques, ces dernières symbolisent la mélancolie d’une adulte sur la vie adolescente, à l’opposé du comportement d’Isabelle. Jeune et Jolie ne défend ni ne condamne la prostitution, contrairement à ce que certains critiques ont pu déclarer sur le film. François Ozon dévoile en revanche être contre la sur-interprétation du monde moderne sur l’attitude des gens (le psychologue d’Isabelle est inutile). Le cinéaste dépeint au final une société qui cherche à être tellement propre sur elle qu’elle finit par imploser et revenir à un état plus primaire (mais là encore contrasté par le fait qu’Isabelle ne jouit pas pendant l’acte). En espérant que le film marquera les esprits, on peut au moins être sûr que François Ozon aura réussi à faire décoller l’étoile Marine Vacth dans le ciel du cinéma. Une étoile bien jeune et jolie d’ailleurs.
Maîtrisé de bout en bout, Jeune et Jolie prouve définitivement que François Ozon est l’un des réalisateurs français contemporains les plus talentueux. A travers son voyeurisme et sa quasi-objectivité, son film dérange quant à sa vision de la prostitution, grâce à son personnage indescriptible brillamment incarné par la révélation Marine Vacth. Notre ministre du redressement productif devrait être content, car Jeune et Jolie s’annonce dès lors comme l’un des grands films français de cette année 2013. Cocorico !
Bande-annonce de Jeune et Jolie
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