Réalisateur : Alfonso Cuarón
Acteurs : Sandra Bullock, George Clooney, Ed Harris…
Genre : Houston, on a un chef-d’œuvre !
Date de sortie française : 23 octobre 2013
Nationalité : USA, GB
Durée : 1h31
Classification : tout public
D’une beauté époustouflante, le nouveau film d’Alfonso Cuarón l’emporte par KO sur le spectateur. Culte en devenir.
Tout artiste désire à un moment de sa carrière transcender son art en réalisant une œuvre redéfinissant le rapport à l’être humain. Alfonso Cuarón, cinéaste touche à tout (Y tu mamá también, Harry Potter et le Prisonnier d’Azkaban) fait partie des rares à réussir cet exploit. Après son excellent Les Fils de l’homme, imaginant une race humaine en proie à l’extinction suite à sa stérilité, le bonhomme a pour ambition de traiter de ce thème dans le lieu le plus froid et inhospitalier existant : l’Espace. Après un panneau introductif efficace et une musique qui sait accentuer la tension tout le long du film, la caméra se pose pour suivre Matt Kowalski (George Clooney) et le docteur Ryan Stone (Sandra Bullock) en train de réparer le télescope Hubble. Se concluant au bout de quinze minutes sur la destruction de l’engin par une pluie de débris, cet incroyable plan-séquence coupe le souffle. Un souffle que nous ne reprendrons qu’un heure trente plus tard…
« Beautiful, don’t you think ? »
Qu’on se le dise, Gravity repose avant tout sur sa maestria technique et son plaisir primaire d’offrir au spectateur un incroyable tour de montagnes russes. Suivant ses personnages au plus près et limitant les ellipses, Cuarón orchestre un ballet impressionnant, faisant flotter sa caméra dans de longs plans soigneusement millimétrés pour nous faire perdre pied à l’instar de ses survivants, voués à mourir sans navette. Les images numériques froides et réalistes sont alors sublimées par l’une des meilleures 3D jamais conçues. Au lieu de charger le cadre pour faire ressortir des objets (ce qu’il se permet tout de même à de rares moments), le réalisateur préfère accentuer la profondeur infinie du cosmos pour y contraster la taille ridicule de ses protagonistes. En plus de faire passer Avatar pour de la poudre aux yeux, c’est à ce moment-là que l’on comprend que Gravity dépasse le simple statut de vitrine technologique.
Sous le prétexte du survival, le long-métrage ne laisse aucun temps mort. Dialogues courts mais efficaces, expositions non-forcées, tout est mis en œuvre pour que le cœur du « monsieur dans son siège » batte la chamade. Conscient de la capacité d’interaction qu’il a avec ce dernier, il devient une véritable expérience sensorielle. Les voix salies par les micros se fondent dans le silence pesant et l’usage habile de la stéréo ne fait que magnifier ce qui se trouve devant nos yeux, car Gravity est également un film brillant sur le regard. Si le docteur Stone ne peut voir son environnement qu’à travers son scaphandre ou un hublot, nous, sommes contraints d’admirer par le prisme de nos ignobles lunettes. Les vues subjectives et la solitude des astronautes (rapidement privés de liaison avec Houston) permettent ainsi des temps de pause au sein du stress ambiant, des moments d’extase de la beauté de l’Univers, rappelant Caspar David Friedrich et son Voyageur contemplant une mer de nuages.
« Tell her that I am not quitting. »
Néanmoins, à l’inverse des artistes romantiques, Gravity ne délaisse pas la raison, et la réconcilie même au rêve et à l’émotion. Les deux personnages n’ont plus le contrôle de leur trajectoire, de leur mouvement au singulier. Le choix de Sandra Bullock dans le rôle principal n’étonne guère. Déjà piégée dans Speed à l’intérieur d’un bus ne pouvant pas rouler en dessous d’une certaine vitesse sous peine d’exploser, son jeu de la panique et sa recherche de relaxation deviennent le pivot émotionnel du film. La simplicité des enjeux et l’immersion du spectateur permettent à celui-ci de se remettre en question : que sommes-nous dans l’Univers ? L’incroyable technique du long-métrage y répond : de minuscules points (blancs) perdus dans l’immensité spatiale, oubliant toute supériorité ou protection d’une puissance spirituelle.
Mais heureusement, Gravity ne se résume pas qu’à une réflexion aussi froide que son décor. La raison de la tension provient plus de la volonté de vivre du docteur Stone que de sa véritable survie. Déprimée par la mort « stupide » de sa fille, elle perd espoir face à la difficulté de la tâche. Doit-elle se battre ou se laisser partir en toute tranquillité dans le silence ? L’expression dit que « la vie ne tient qu’à un fil », et ce dernier est représenté de façon littérale par l’attache reliant Ryan et Matt et par les diverses accroches qu’ils tentent d’attraper pour éviter de dériver. Qu’il s’agisse de son attraction, des voix des contrôleurs de Houston ou encore de la musique de Kowalski, la Terre redevient l’Eldorado que semblait être l’Espace, le lien et la raison d’exister des héros. Cuarón appuie ainsi toute la deuxième partie de son film de symboles représentatifs de la naissance (la position fœtale de Ryan dans la navette, le cordon ombilical et la sortie du liquide amniotique). L’ode à la vie se créée paradoxalement dans l’antre du vide et de la mortalité. La véritable réussite d’Alfonso Cuarón vient de cette manière d’arborer une aventure encore jamais vue, singulière, et de la transformer en œuvre universelle, le tout en questionnant notre rapport à l’Homme. De mémoire, les derniers films à avoir réussi cet exploit s’appelaient Alien et 2001 : l’Odyssée de l’Espace…
Alors que quelques articles s’amusent à démonter de manière méprisable l’engouement des critiques, justifiant un effet « moutons de Panurge » et un marketing béton (alors qu’ils n’ont juste certainement pas compris le film), il est peut-être important d’assumer explicitement son avis : Gravity EST un chef-d’œuvre ! Novateur techniquement (ne serait-ce que pour la 3D) et appuyant un magnifique message, il s’agit sans aucun doute de l’évènement cinématographique de l’année, à savourer absolument sur grand écran (une télé fera probablement moins d’effet). Certes, on n’atteint pas le génie de Stanley Kubrick, mais on en est proches, très proches…
Bonjour Antoine et bravo pour ta critique très complète !
Merci beaucoup, c’est vrai que celle-là a demandé un peu plus de temps que d’habitude ^^ Mais toi aussi, encore bravo pour ton analyse et surtout pour ton point de vue assez original. Hâte de lire tes prochains papiers.
Ça c’est une superbe critique.
Hâte de découvrir ce chef d’œuvre, la presse est unanime, la note est maximale.
La première fois que j’ai eu le vertige au cinéma.
Magnifique 3D