Réalisateur : Doug Liman
Acteurs : Tom Cruise, Emily Blunt, Bill Paxton, Brendan Gleeson, Noah Taylor…
Genre : Une guerre sans fin
Date de sortie française : 4 juin 2014
Nationalité : USA, Australie
Durée : 1h53
Classification : tout public
Tom Cruise retrouve les plateaux des grosses productions dans un film d’action SF au concept original, mais inégal.
Avec son montage de fausses images d’archives pour annoncer la venue sur Terre d’une race extraterrestre belliqueuse, Edge of Tomorrow partait du mauvais pied en terme de science-fiction originale. Pourtant, passée cette exposition un peu forcée, qui n’a d’intérêt que le caméo (décalé) de notre président de la République, le film se pose pour dévoiler ses particularités, et en premier lieu son personnage principal. En effet, malgré son broshing impec et son regard à vous faire ravaler votre sex-appeal, Tom Cruise s’est permis ici un rôle aux antipodes des héros d’actioners dont il a l’habitude. Devenu haut gradé de l’armée suite à un concours de circonstances, Bill Cage est finalement envoyé au front lors d’un débarquement (en France !) considéré comme décisif dans la guerre contre les Mimics (des saloperies aliens ultra-rapides en forme d’amas de tentacules). Le problème, c’est qu’il est loin d’être soldat, et va tout faire jusqu’à la dernière minute pour éviter de se battre. Les anti-héros aussi lâches et malhonnêtes sont rares à Hollywood, mais c’est surtout avec son dispositif qu’Edge of Tomorrow s’éloigne du commun des blockbusters estivaux. Après avoir succombé à l’attaque d’une bestiole sur le champ de bataille, Cage revit cette même journée d’horreur, encore et encore…
TPS de SF.
Certes, l’idée de la boucle temporelle n’est pas nouvelle, mais Doug Liman (La Mémoire dans la peau, Mr. & Mrs. Smith) l’use ici de façon assez novatrice, en mêlant l’art cinématographique à des inspirations vidéoludiques assumées. Il faut dire qu’avec l’arrivée de moteurs graphiques et physiques de plus en plus photoréalistes, le jeu vidéo est en train de supplanter le cinéma en matière d’immersion dans une œuvre, puisque le public a une capacité d’interaction avec ce qu’on lui présente. Cependant, la jalousie déguisée d’Edge of Tomorrow se révèle plus être de l’admiration, au vu de la manière dont le cinéaste rend compatibles les deux arts. En découvrant cette étrange capacité, Cage devient tel un joueur face à un tutoriel, apprenant à quoi sert chaque touche d’une manette ou d’un clavier. Ses morts répétées lui permettent d’avancer de plus en plus loin dans son aventure, corrigeant ses erreurs par les « game over », comme dans ces jeux hardcore surnommés les « try and die ». Les scènes d’action sont bien distillées et franchement jouissives, notamment grâce à l’alternance de plans d’ensemble montrant la désolation du champ de bataille et la caméra rapprochée à l’épaule, que Liman a appris à développer depuis Jason Bourne, pour une immersion optimale. On pourra néanmoins reprocher à cet amour de déteindre un peu trop sur les ambitions, tant l’esthétique (par ailleurs travaillée) convoque Gears of War, Half-Life et autres shooters au look SF, eux-mêmes inspirés de films comme Starship Troopers.
Meurs un autre jour.
De ce fait, Edge of Tomorrow pose la question de la distance que prend une œuvre par rapport à son public. Avec ses combats sur les plages normandes filmés avec la verve d’un Spielberg façon Il faut sauver le soldat Ryan, il est clair que le long-métrage se tourne vers les réminiscences explicites des heures sombres de notre histoire. Mais comment leur créer une véritable gravité avec un personnage à priori immortel ? Là est l’intelligence du film qui, grâce à ses répétitions d’évènements, appuie l’importance du devoir de mémoire. C’est en s’efforçant de revivre le passé, aussi horrible soit-il, que l’on peut changer l’avenir. Le message est simple mais n’a rarement paru aussi limpide, d’autant plus qu’Edge of Tomorrow n’en oublie jamais sa fonction de divertissement. Il évite même la lourdeur dramatique de son histoire par des touches d’humour régulières, que l’on doit au génial scénariste Christopher McQuarrie. En se reposant sur le fait que la mort délivre et qu’elle permet de recommencer, les décès de Cage prennent au fur et à mesure une dimension burlesque, voire cartoonesque. Ce comique de gestes totalement décalé étonne d’abord, puis réjouit tant il s’ancre à merveille dans la notion de distance qu’a choisi le film.
The Day before tomorrow.
Ainsi, pour l’une des premières fois, un réalisateur de cinéma traite, indirectement, mais avec bienveillance, du rapport entre un gamer et son avatar, et se permet même de répondre (partiellement) à une colle : peut-on rappeler l’expérience d’un joueur sans jeu, sans interaction ? Pour Doug Liman, il semble que trop s’orienter vers les codes du dixième art amène obligatoirement une répétitivité ennuyeuse (il suffit de repenser au récent film Need for Speed pour s’en convaincre). Afin de contourner ce problème, l’astuce du cinéaste consiste à tromper le spectateur sur l’identification qu’il peut avoir avec un personnage. Nous ne sommes pas tant dans la situation de Cage que dans celle de sa seule alliée, Rita (Emily Blunt, convaincante). Quand nous voyons une nouvelle scène, nous ne pouvons pas savoir s’il s’agit également d’une découverte pour le protagoniste principal. A l’inverse d’un jeu vidéo, nous perdons tout contrôle, piégés dans les ellipses souvent bien montées qui offrent un découpage réussi à l’ensemble. Malheureusement, Edge of Tomorrow ne peut pas totalement éviter un rythme en dents de scie, accentué par sa dernière demi-heure qui oublie son concept initial, pour revenir à un film d’action plus classique. Liman perd dès lors, lui aussi, le contrôle de son œuvre, que l’on sent aisément charcutée par les producteurs qui ont eu l’audace de conclure ce blockbuster novateur par un final complètement bateau. En plus d’exaspérer par sa bêtise, ce dernier délaisse toute la réflexion que le long-métrage avait mis tant de temps à bâtir, comme si un film grand public ne pouvait pas faire réfléchir au-delà d’un certain stade. On rêverait alors, comme Cage, de pouvoir revenir en arrière, face à cette frustration qui aurait été facilement évitable. Trop tard, le générique a commencé.
Edge of Tomorrow est indéniablement un divertissement efficace, porté par son très bon duo d’acteurs au sein d’un concept plutôt bien géré. Dommage que le film manque par la suite d’ambitions pour tomber dans les travers d’un blockbuster lambda, qui lui font perdre de son identité.
Bande-annonce : Edge of Tomorrow
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