Réalisateur : Terry Gilliam
Acteurs : Christoph Waltz, Mélanie Thierry, David Thewlis, Lucas Hedges, Matt Damon…
Genre : Le sens de la vie
Date de sortie française : 25 juin 2014
Nationalité : USA, BG, Roumanie
Durée : 1h46
Classification : tout public
Terry Gilliam tente de trouver le sens de la vie dans un sous-Brazil, qui contient tout de même de bonnes idées.
En quelques films, dont le récent et explicite Edge of Tomorrow, 2014 semble se dessiner comme une année de remise en question du cinéma par rapport aux mondes virtuelles, et tout particulièrement le jeu vidéo. Depuis l’avènement de ce dernier, ainsi que d’Internet, il est clair que l’industrie a changé, contrainte de penser autrement la distribution et le marketing face au piratage désormais ancré dans la conscience collective, mais surtout de renforcer l’immersion d’un public inactif devant un écran, qui, ailleurs, lui offre une possibilité d’interaction. Outre la 3D, des scénarios de plus en plus nombreux se basent sur une écriture répétitive, construite en niveaux, pour s’inspirer du médium vidéoludique. Zero Theorem, lui, a la particularité de prendre à parti ces patterns afin de créer des ponts entre le mode de vie de l’homme et ses réactions face à un monde virtuel, pour en venir à cette question : Quel est le sens de la vie ? Dans un univers rétro-futuriste dystopique, où tout le monde est contrôlé par la société omnisciente Mancom, Qohen Leth, un génie de l’informatique, est chargé par celle-ci de travailler sur le théorème zéro, censé décrypter le but de l’Existence.
Un nouvel imaginarium…
Et si la vie n’était qu’un jeu vidéo géant ? Mais dans ce cas, dans quel but agit-on ? Par divertissement ? Par satisfaction personnelle ? Par volonté d’aller plus loin ? Certes, Matrix et d’autres films de SF sont déjà passés par ce type d’interrogations, mais elles permettent néanmoins au trublion Terry Gilliam de se renouveler un tant soit peu. Sa plus grande idée, ici, réside certainement dans le visuel qu’il donne au travail de Qohen, qui, à l’aide d’une manette, rassemble sur son ordinateur des cubes, formant des montagnes de pixels, afin de combler les vides. Les phobies du personnage principal résident d’ailleurs dans cette peur de l’absence, dans laquelle il s’engouffre paradoxalement par le manque de substance du virtuel. La notion de corps prend dès lors un tournant cronenberguien, trouvant une relation avec l’impalpable sans jamais (ou plutôt rarement) entrer en contact avec de la matière. Qohen est séduit par une call-girl aux sentiments ambigus, mais ne communique avec elle que par son site Internet, qui repose sur de la réalité virtuelle. Il faut pour cela brancher une combinaison munie d’un câble. Il y a une attache, mais le contact est faux, la sensation factice, comme celui entre deux acteurs, ou entre deux personnages de jeu vidéo.
…un soupçon de Matrix…
Face à l’absurdité de la quête, la progression laborieuse du protagoniste fait avant tout de Zero Theorem un film nihiliste, assistée par l’image inquiétante et prégnante d’un trou noir. Il aspire les idées et la connaissance vers le vide, à l’instar d’Internet, qui réunit tout ce que l’homme sait en le numérisant. N’a-t-il pas alors créé son propre Big Bang, qui le mènera à l’extinction ? La question peut paraître hyperbolique, mais elle prend sens dans l’univers déshumanisé de Gilliam. Derrière la répétitivité de son dispositif, ainsi que l’ennui de ses personnages, se cache une violence qui ne demande qu’à être libérée. La crise frôle à chaque instant, mais personne ne semble s’inquiéter, comme le patron de Mancom appelé Management (qui offre à Matt Damon un savoureux petit rôle). La force du film réside dans sa manière de décrire l’humain comme une entité, qui, comme veut le montrer le théorème zéro, n’est finalement rien, car elle aime se construire pour après s’autodétruire. Néanmoins, Gilliam garde une touche d’espoir, ne serait-ce que par son choix de reposer son long-métrage sur ces acteurs, et tout particulièrement Christoph Waltz, impressionnant en Lex Luthor sous Prozac.
…mais un réel manque d’originalité.
Cependant, Zero Theorem ne parvient pas totalement à être pertinent. Malgré ses très bonnes idées, Terry Gilliam manque parfois de subtilités quand il s’agit de traiter de la solitude que peut procurer la technologie. On se rappelle alors qu’il avait déjà approché ces thèmes ailleurs, et mieux. L’ombre de Brazil plane sur le script et les décors de ce nouveau film, qui sent un peu la redite. Pire encore, on sent un manque d’implication de la part du cinéaste, qui semble avoir perdu sa verve d’antan. Une nostalgie mal-venue se dessine, et on se sent presque désolé de voir un si grand réalisateur se perdre dans ses idées et patauger dans ses tics de mise en scène (les plans obliques, les focales courtes pour les gros plans). Peut-être est-ce à cause des problèmes de financement dont Gilliam souffre depuis maintenant de nombreuses années, et qui perpétue son image d’artiste maudit. Ne serait-il pas finalement aussi désespéré que Qohen ? Quoiqu’il en soit, le petit budget se ressent une nouvelle fois pour ce projet ambitieux, et amène, de ce fait, quelques moments kitschs. On serait tout de même tentés de les pardonner au vu du propos qu’il parvient à dépeindre, nous faisant tout de même sortir de la salle avec quelques questions en tête. Mais n’est-ce pas au final avec ses défauts et ses manques de moyens que Zero Theorem dénonce le mieux la société capitaliste ?
Terry Gilliam a perdu de sa superbe, mais conserve de sa pertinence. Zero Theorem est un film imparfait, se reposant trop sur les acquis et les précédents succès de son réalisateur, mais qui a le mérite d’avoir un vrai point de vue sur la notion de virtuel.
Bande-annonce : Zero Theorem
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