Réalisateur : Clint Eastwood
Acteurs : John Lloyd Young, Vincent Piazza, Erich Bergen, Michael Lomenda, Christopher Walken…
Genre : Biopic chantant
Date de sortie française : 18 juin 2014
Nationalité : USA
Durée : 2h14
Classification : tout public
Quatre musiciens populaires dans les années 60 offrent à Clint Eastwood un biopic maîtrisé et nostalgique. Émouvant.
Voir un nouveau film de Clint Eastwood, c’est un peu comme déguster un bon vin : on ne sait pas vraiment ce que l’on va déboucher comme crû, mais le simple nom sur l’étiquette assure la qualité. Sans pousser la comparaison en disant que le cinéaste se bonifie avec le temps, il est indéniable de constater aujourd’hui, à la vue de ce nouveau long-métrage, l’incroyable expérience d’un réalisateur (et acteur) qui s’est illustré dans de nombreux genres. Plus encore que dans certaines de ses dernières œuvres (Invictus, J. Edgar), la nostalgie est au centre de Jersey Boys, et se révèle d’autant plus touchante qu’Eastwood s’efforce de livrer une reconstitution fidèle des années 60, ancrée dans un élément culturel de l’époque. En effet, il se concentre cette fois-ci sur l’ascension du groupe de pop-rock « The Four Seasons », composé de quatre beaux gosses américano-italiens tout droit sortis du New Jersey.
Au-delà.
Bien entendu, le grand Clint est surtout intéressé par l’envers du décor de ce quatuor dont on devine, à la manière d’un Scorsese, que la rapide célébrité ne peut que mener à une chute d’autant plus douloureuse. Néanmoins, on ressent l’amour de l’œuvre de ces résistants de la beatlemania. Il y a une volonté de faire redécouvrir leurs tubes (Sherry, Big Girls don’t cry) en filmant leurs performances scéniques le plus souvent en entier. Jersey Boys puise ainsi autant dans le biopic que dans le film musical (le scénario est basé sur une pièce de Broadway), mélangeant les genres pour devenir plus intemporel. Le réalisateur a conscience que cette période est révolue, aussi bien pour ses protagonistes que pour lui-même, faisant de son long-métrage un mémoire déguisé sur une période de sa vie, qu’il tente d’immortaliser. Cette pensée testamentaire, déjà prégnante dans Gran Torino, atteint ici son point de maturité dans une scène troublante, où Eastwood apparaît en tant qu’acteur dans un film en noir et blanc, sur un écran de télévision. Il est enfermé par le surcadrage, mais est surtout rendu à un élément de décor, auquel sa caméra prête peu d’attention. Mais surtout, quelqu’un finit par éteindre avec indifférence le téléviseur, comme s’il était effacé de son propre souvenir, d’une partie de son existence.
Cauchemar américain.
Jersey Boys repose ainsi sur une retenue. Le film décrit la bulle dans laquelle vit le groupe, parfois au détriment de leur famille. Il est étonnant de voir que l’émotion gagne souvent en puissance par le manque engendré par les hors-champs et les ellipses (notamment lors de la mort inattendue d’un personnage). Le reste de la mise en scène se veut assez simple, quitte à souffrir parfois de son académisme, pour se concentrer sur le jeu de ses jeunes acteurs. Ironiquement, pour un groupe de musique, Eastwood souligne la dissonance du quatuor, qui en vient même, alors que l’un des membres s’est fortement endetté, à faire appel à un chef mafieux (Christopher Walken) pour régler la situation. Après avoir illustré une jeunesse difficile, le film crée des ponts entre le présent des personnages et leur passé, dans lequel ils sont toujours à deux doigts de retomber. J. Edgar a prouvé que Clint Eastwood aimait raconter des exemples du rêve américain, tout en montrant le revers de la médaille. Ici, l’ascension fulgurante du groupe s’est caractérisée par la chance, mais aussi par l’argent. Autrement dit, le succès n’est pas juste, et ne va pas toucher en premier ceux qui travaillent plus que les autres, contrairement à ce que répètent certains protagonistes. Si le groupe se concentre avant tout sur sa musique, l’argent refait toujours surface, et le capitalisme en revient à étouffer l’art dans le pays où, paradoxalement, la culture s’étend le plus à travers le monde.
The show must go on !
Jersey Boys se permet donc une critique assez acerbe sans jamais pour autant devenir totalement pessimiste. Il s’agit avant tout d’un film sur le rythme, un rythme qui doit être tenu et maîtrisé. Malgré la rancœur qui se développe entre les personnages, ils sont toujours à l’unisson sur scène, et se permettent même de s’adresser au spectateur en aparté, face caméra, tout en étant capable de reprendre l’action du plan en cours de route. Cet ensemble révèle une certaine mécanique, à l’image de l’écriture de Bob Gaudio (le compositeur du groupe), qui permet au cinéaste d’accorder sa réalisation à son sujet. L’homme est au centre du récit, mais la nostalgie du réalisateur expose la supériorité de ses créations. Après un très beau final lors du Rock and Roll Hall of Fame, accentué par les visages grimés des Four Seasons, tous les personnages du film, qu’ils se soient croisés ou non, qu’ils se soient appréciés ou non, se retrouvent à chanter tous ensemble. Face à l’humain, l’art subsiste. Clint Eastwood l’a bien compris, et retrouve avec Jersey Boys la sérénité testamentaire de Gran Torino. Qu’il se rassure, pour lui, nous n’éteindrons pas notre télé !
Au-delà de ses qualités indéniables de biopic, Jersey Boys est surtout une déclaration d’amour d’un auteur à un passé. Clint Eastwood sublime son quatuor et les années 60 sans jamais en oublier une critique pertinente sur le rêve américain. Ne l’enterrons pas trop vite !
Bande-annonce : Jersey Boys
Partager la publication « Critique : Jersey Boys (Clint Eastwood) »
Je pense que c’est une oeuvre admirable, et dans la lignée des derniers films de Clint Eastwood. Il y a des moments vraiment émouvants, même si le film n’est pas pessimiste.
Peut-être que ça ne fera pas un carton au box-office, mais avec le temps, c’est une oeuvre qui sera sans doute réhabilitée par ses détracteurs, comme ce fut le cas pour plusieurs films d’Eastwood. Comme ce sera le cas pour des films comme J.Edgar et Au-Delà.